Bernard Squarcini, ancien chef du renseignement intérieur, comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris, accusé d'avoir profité de ses relations avec la police pour obtenir des informations confidentielles et des privilèges au bénéfice d'intérêts privés, notamment celui du PDG de LVMH, Bernard Arnault.
Dans une ordonnance datée du 1er septembre, révélée par l'AFP le mardi 5 septembre, deux juges financiers ont décidé de le renvoyer en procès. Surnommé « le Squale », âgé de 67 ans, le procès devrait mettre en lumière ses liens avec le groupe de luxe LVMH.
Mis en examen dès 2016, l'ancien directeur central du renseignement intérieur (DCRI, devenu DGSI) de 2008 à 2012 sera jugé pour onze infractions, dont le trafic d'influence passif, le détournement de fonds publics, la compromission du secret de la défense nationale, l'abus de confiance, le faux en écriture publique, ainsi que la complicité et le recel de violation du secret professionnel et de l'instruction.
« M. Squarcini conteste les accusations portées à son encontre et nous continuerons de les contester devant le tribunal », a réagi l'un de ses avocats, Me Patrick Maisonneuve, lors de son entretien avec l'AFP. Une autre de ses conseils, Me Marie-Alix Canu-Bernard, a réagi en disant : « C'est une décision malheureusement sans surprise et surtout sans considération aucune des nombreux moyens soulevés et des plus élémentaires explications données par Mr Squarcini durant ces douze années d'instruction ».
Lors d'un interrogatoire, l'accusé s'était défendu en déclarant : « Si j'ai pu enfreindre certains textes, je n'y ai pas vu l'infraction mais une certaine continuité avec mes activités au service de la République. »
Lors des perquisitions menées à son domicile, plus de 400 documents classifiés ont été retrouvés. Aux côtés de Bernard Squarcini, dix autres personnes devraient comparaître en tant que prévenus, dont de hauts fonctionnaires tels que le préfet Pierre Lieutaud, qui était à l'époque le numéro 2 du Coordinateur national du renseignement, Laurent Marcadier, ancien magistrat de la cour d'appel de Paris, les anciens policiers Charles Pellegrini, Hervé Seveno et Jean-François Lelièvre, ainsi que des consultants. Ils sont soupçonnés d'avoir répondu aux demandes de Squarcini et contestent les accusations.
Pierre Godé, ancien numéro 2 de LVMH et considéré par plusieurs mis en cause comme l'un des principaux protagonistes, est décédé début 2018.
Les avocats de Franck Alioui, un policier qui s'est porté partie civile, Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, ont réagi en déclarant : « Ce procès va être emblématique du dévoiement par des hauts fonctionnaires, et au premier chef Bernard Squarcini, de leur mission dans leur intérêt strictement personnel et au prix d'une atteinte au crédit de l'Etat. »
Les enquêtes ont examiné à la fois la période pendant laquelle Squarcini était à la tête de la DCRI (2008-2012) et sa reconversion ultérieure dans le secteur privé après son éviction en 2012 par François Hollande, qui le jugeait trop proche de Nicolas Sarkozy. L'ancien maître-espion est ensuite devenu le PDG d'une société de conseil en intelligence économique appelée Kyrnos, qui a conclu des contrats avec LVMH.
L'enquête s'est concentrée sur quatre volets, notamment la tentative d'identification en 2008, par les policiers de la DCRI, de l'auteur d'une tentative de chantage privé visant Bernard Arnault et le groupe LVMH, ainsi que l'espionnage rocambolesque de François Ruffin et de son journal, Fakir, entre 2013 et 2016.
Les juges estiment que l'argument de défense selon lequel la protection des intérêts purement privés de Bernard Arnault relèverait des missions habituelles de la DCRI est une erreur manifeste d'analyse : la DCRI n'aurait pas dû intervenir dans ce cadre. Selon eux, au-delà de la fourniture d'informations, c'est bien l'influence réelle ou supposée de Bernard Squarcini pour débloquer des situations administratives qui aurait été payée par LVMH, avec plusieurs petits services rendus à des proches du milliardaire.
Bernard Arnault, témoin lors de l'instruction, avait affirmé qu'il ne savait rien des informations collectées, soulignant que lui-même n'était pas mis en cause.
LVMH n'est plus concerné par la procédure après avoir payé une amende de 10 millions d'euros fin 2021 pour éviter des poursuites, principalement pour l'espionnage de François Ruffin et de Fakir.
L'ancien directeur de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, a été définitivement condamné en février à une amende avec sursis. En 2013, il avait échangé des courriers avec Squarcini, notamment sur une affaire impliquant Hermès et LVMH.