Il y a dix ans, Thierno A. Balde a quitté la Guinée Conakry pour échapper à la violence et à la répression politique. Il était alors loin de se douter qu'il serait amené à traverser dix pays d'Afrique et d'Europe, à affronter le désert et les flots, et à connaître l'esclavage et le naufrage. Son périple l'a finalement conduit à Strasbourg, en France. Aujourd'hui âgé de 26 ans, Thierno est pâtissier dans une grande surface et vient de se marier. Il se sent enfin installé dans la vie, mais garde en lui les marques de son voyage chaotique.
Thierno raconte que c'est la première fois qu'il ressent un certain soulagement, qu'il n'éprouve plus le besoin incessant d'avancer, de fuir et de continuer le voyage à tout prix. Pourtant, cette envie de fuite est ancrée profondément en lui après toutes les épreuves qu'il a traversées. Il n'est pas facile de se débarrasser de ce réflexe de survie qui pousse les migrants à avancer malgré tous les obstacles.
Thierno a grandi en Guinée Conakry, entouré de sa famille. Son enfance était heureuse malgré les conflits politiques qui secouaient le pays. Mais tout a basculé le 28 septembre 2009, lorsque son père a été tué lors d'une manifestation politique. Le régime militaire de Dadis Camara réprimait violemment les opposants, et des centaines de personnes ont perdu la vie ce jour-là. Thierno se rappelle que son quartier a été rasé et que sa famille vivait dans la peur constante des arrestations et des violences.
En colère, Thierno a participé à de nombreuses manifestations et a été emprisonné à plusieurs reprises. Sa mère devait soudoyer les officiers pour le faire sortir de prison, et finalement, elle a dû lui dire qu'il devait fuir pour protéger sa famille.
Direction le Mali, pensait-il, pour attendre que la situation se calme. Mais les sirènes de l'ailleurs l'ont poussé à suivre d'autres migrants vers l'Algérie, où il espérait trouver du travail. Son voyage à travers le désert a été éprouvant, et il a été pris en otage par des djihadistes à Kidal, au Mali. Finalement libéré grâce à l'argent que sa mère a payé, Thierno a repris sa route vers l'Algérie.
En Algérie, Thierno a travaillé sur des chantiers pour économiser de l'argent et tenter de rejoindre l'Europe. Il a suivi le flot des migrants vers le Maroc, où il vivait caché dans la forêt près de Ceuta, à la frontière espagnole. L'Europe était si proche, il pouvait la sentir, la voir, mais elle lui était encore inaccessible. Finalement, Thierno est retourné en arrière pour mieux avancer, décidé à poursuivre son périple.
Le cauchemar a continué en Libye, où Thierno est devenu esclave d'un mafieux local. Il a subi des maltraitances et des privations, avant de réussir à fuir à nouveau. Il a payé un passeur pour traverser la Méditerranée sur un canoé gonflable avec 150 autres migrants. Le bateau a chaviré, provoquant la noyade de nombreux passagers. Thierno a failli mourir, mais il s'est accroché à une partie émergée du bateau pendant des heures.
Finalement, Thierno a été secouru et s'est retrouvé sur une plage de Tripoli. Il a été pris en charge et a pu appeler sa mère pour lui dire qu'il était vivant. Il a passé un an en Italie, où il a repris ses études et trouvé du travail. Il a finalement décidé de se rendre en France, attiré par les opportunités de travail et l'aide sociale. Arrivé à Strasbourg en 2017, il a trouvé du soutien auprès de diverses associations et a commencé à reconstruire sa vie.
Thierno a écrit un livre pour raconter son histoire et sensibiliser les gens à la réalité de l'immigration. Publié en juin dernier, son livre intitulé « L'Europe appelle, l'Afrique pleure. Un aller sans retour » est un témoignage poignant qui met en lumière les souffrances endurées par les migrants lors de leur parcours. Thierno est devenu un ambassadeur de Strasbourg Capitale mondiale du livre et prévoit de retourner en Guinée pour lire son livre à sa mère.
Son histoire est un rappel poignant que derrière les statistiques et les chiffres, il y a des êtres humains qui endurent d'innombrables souffrances sur la route de l'immigration. Thierno est arrivé à bon port, mais il n'oublie jamais les nombreux autres qui n'ont pas eu cette chance.